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"On prend le pouls du soir sur la promenade. On y regarde les visages, les allures, les silhouettes et les flaques de lumière qui s'étendent au pied des lampadaires tandis que la nuit tombe avec de lents mouvements d'épaules.
On va, par deux ou trois, le long du port, le dimanche, en poussant une charette d'enfant, en mangeant des glaces à la fraise. On circule tout prés de la mer, sur le bord de sa propre vie, revenant là, toujours, sans trop savoir pourquoi, à cause du bleu sans doute, de la lumière qui change, des coques colorés des barques, du bruit léger du flot, du tintement des drisse contre les mats, de tout ce temps perdu où l'on s'avance, ces lisières que l'on suit, ces invisibles fils, dans l'air, les doigt du vent dans les cheveux, ses paumes sur le visage....
Pieds nus dans les sandales, on regarde et on respire, heureux de ce gôut de fraise dans la gorge, de ces mèches emmêlées qui vous caressent le front, heureux des roues de la poussette, des enfants dans vos jupes et du petit bruit de la vie, là, c'est dimanche prés de la mer.
(...)
On circule, on avance. Vers quoi, vers qui se dirige t'on ? Le bout de la promenade ? La fin de la journée ? Peut être le repas du soir, le film du dimanche à la télévision, la tiédeur du sommeil...
Demain de quoi sera-t-il fait ?
et PLUS TARD, qu'est-ce que ça veut dire ?
A quoi cette vie tient-elle ?
Un battement de montre contre le poignet ?
Des espoirs, des projets, des désirs ?
Quoi au juste ? Du bonheur ? Connaît-on la recette ?
Retourner sur la promenade ? Manger d'autres glaces à la fraise ?
Regarder courir les enfants ?
C'est quoi, demain ? C'était quoi hier ? Nos visages un peu dans le vent ?
Quelque chose qui n'est pas encore arrivé ? Une escale ? Un oubli ?
On circule toujours, on avance. On se pose sur un banc, comme font les oiseaux sur la branche. Il semble qu'on ne souffre pas, mais parfois qu'on s'ennuie un peu. Comme si on attendait que quelque chose se passe, comme si l'on espérait davantage. Heureusement, c'est comme encore l'été, il fait doux. On tiendra bien ainsi jour après jour, jusqu' à l'hiver. On a des provisions de soi. De quoi, au juste, on ne sait pas. On s'alimente par les yeux, les heures, les pas. L'important, se dit-on, est de subsister sans chagrin.
(...)
Que l'on grimpe dans une barque pour une minuscule tour du monde, d'un quart d'heure, le dimanche, ou qu'on reste là vingt minutes, au bout de la jetée, assis face à la mer, on sent alors dans le regard une espèce de fêlure. Par là, entre et sort la lumière. (...)
Que fera de sa vie celui à qui nul n'a appris à demeurer seul avec soi ?
Quelle sorte de son rendra t'ellle, si la musique n'éveille en lui, qu'un vague trésaillement ?
Quelle intelligence, si nulle question ne lui est posée ?
Quel signe sera-t-il tracer, s'il n'aime ni la langue ni la terre ?
Sera t'il à jamais l'esclave de tout ce qui s'agite autour de lui ?
Une ivresse d'images et de bruits ?
Le tournis d'une fête foraine ?
Une liste de courses à expédier ?
Une lacune, un oubli ? Une parti de cache cache ? Un tour de piste ?
Un mauvais rôle ?
Des hoquets et des spasmes ? Des coliques ? Des étreintes ? Des culbutes ?
Que fera de sa vie, celui qui n'espère nul fragment d'immortalité ?
(...)
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L'instinct de ciel. Gallimard. 2000.
Jean Michel Maulpoix.
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