« Je me revois, enfant, Lancelot ou Richard Cœur de Lion, frappant les arbres et la fardoches de ma branche-épée, tuant des centaines de méchants et de maudits, jusqu’à ce que mon arme s’effiloche et laisse couler sur mon poignet un jus vert, qui avait le goût du noyau de pêche. Alors je me jetais à bras nus sur l’ennemi invisible, roulais avec lui dans l’herbe, étreignais avec une amoureuse haine, le monstre sans visage qui me prenait toute ma force et me délivrait enfin de cette inexplicable colère, mythique, et qui m’étouffait su je ne me battais pas. (…)
L’humain est sauvage, indomptable, et déchainé quand il est assailli de désirs sans espérance. Ce n’est qu’à force de bien regarder, qu’à force de bien voir, qu’on s’apaise, qu’on appartient à nouveau au monde, qu’on comprend, qu’on trouve un peu de sa place, étrange et précise, dans l’univers enchamaillé. L’attention sauve, la vraie, celle qui nous fait traverser les années et les tâches, chaudement hantés par notre vision, notre désir d’apprendre, de dompter les mystères, d’apprivoiser l’effroi et la beauté.
Etre humain, c’est être à l’affut et chassant, aux aguets. Nous ne sommes pas nés pour assister, béats, au spectacle de la Nature, comme si l’univers était achevé et qu’il ne nous restait plus qu’à nous bâtir des esplanades et des observatoires, avec télescopes, écrans de télévisions et fauteuils qui basculent. Nous sommes partie prenante, nous sommes banchés d’antennes et résonnants de signaux, de détresse ou de joie, de bonheur ou d’alarme, comme des insectes qui cherchent leur vie dans l’herbe.
Nous avons des enthousiasmes d’enfant chercheur et des frousses de poursuivi par les loups. (…)
Se savoir vivant, c’est se savoir, non pas protégé et spectateur, mais marchant, cherchant, fouillant, à la fois téméraire et incertain, inquiet, espérant, n’ayant qu’une semaine, qu’un jour pour voir, connaître, apprendre. Et tu fais, comme un enfant, ce que tu as à faire avec ta passion à toi, ta vision à toi, ta fragile erre d’aller.
Robert LALONDE.
Le monde sur le flanc de la truite.